Maroc: 2009 Rapport annuel des violations des droits syndicaux: www.ituc-csi.org

Publié le par Le Blog - la Voix Des Travailleurs - V.d.T.

Préface

En ouvrant l’édition de cette année du Rapport annuel des violations des droits syndicaux, vous pourriez penser à l’impact terrifiant de la crise financière et économique mondiale qui a touché en 2008 des millions de travailleurs et de travailleuses aux quatre coins du monde, tant dans les pays industrialisés qu’en développement.

La crise met l’accent sur la nécessité de développer une économie mondiale basée sur des emplois décents et une justice sociale, et met en évidence la nécessité d’une meilleure distribution des richesses. Par contre, les travailleurs/euses dans le monde entier ont commencé à ressentir le plein impact de la hausse du chômage sur leur vie et celle de leur famille et des communautés, en raison de la disparition des emplois décents. Ils/elles ont également commencé à constater l’incidence croissante sur leurs droits au travail.

Les droits syndicaux sont des droits humains au travail, universellement reconnus. Deux Conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT) qui les définissent et les garantissent (Conventions 87 et 98) ont été ratifiées respectivement par 149 et 159 États membres de l’OIT, sur un total de 182 pays dans le monde.

Malgré cette reconnaissance formelle par les gouvernements, la CSI documente, à nouveau cette année, les violations continues et souvent massives et graves des droits syndicaux fondamentaux. Ce Rapport est l’un des moyens de la CSI à travers lequel elle expose et dénonce ces violations, en présentant une vue d’ensemble de la situation en matière de droits syndicaux dans le monde en 2008.

Les pays où les pratiques antisyndicales généralisées et graves se sont malheureusement poursuivies incluent: la Colombie, la Birmanie, le Belarus, le Soudan, le Zimbabwe, le Swaziland, l’Iran, le Pakistan et les Philippines. Des pays tels que le Honduras et le Guatemala devraient, cette année, être ajoutés à cette liste. Dans de nombreux autres pays, où les violations ne sont pas si graves, on enregistre une tendance croissante générale à bafouer les droits des travailleurs/euses. L’ingérence dans les activités syndicales a été rapportée notammen en Irak, au Koweït, en Lettonie, au Kirghizistan, dans la Fédération de Russie, en Turquie et au Venezuela. Malgré quelques propositions ou mesures législatives adoptées dans certains pays du Moyen-Orient et des États du Golfe, les travailleurs/euses migrant(e)s sont toujours privé(e)s de droits syndicaux dans nombre de pays. En outre, les entreprises ont continué de tirer parti des législations défaillantes et de leur faible application pour bafouer les droits des travailleurs/euses.

À l’échelle mondiale en 2008, au moins 76 syndicalistes ont été assassinés en raison de leurs actions en faveur des droits des travailleurs/euses. L’Amérique latine demeure le continent le plus meurtrier pour les syndicalistes, enregistrant 66 assassinats en 2008. En Colombie, 49 syndicalistes ont perdu la vie (dont 16 dirigeants syndicaux, et quatre femmes), soit une augmentation de 25% par rapport à 2007. Des syndicalistes ont également été assassinés entre autres au Guatemala (9), au Honduras (3) et au Venezuela (4). En Asie, au moins six assassinats ont été rapportés (Népal et Philippines), ainsi que trois en Afrique (Nigéria, Tunisie et Zimbabwe) et un au Moyen-Orient (Irak).

Dans différents pays de toutes les régions, les syndicats continuent d’être interdits, ou leur établissement restreint. La Chine continue à interdire l’existence de syndicats indépendants. Ceux qui tentent d’organiser des groupes de travailleurs ou des protestations sont souvent arrêtés et certains sont condamnés à des peines d’emprisonnement.

Certaines catégories de travailleurs/euses continuent également d’en être exclues, notamment les fonctionnaires, les travailleurs/euses agricoles, les migrants et les travailleurs/euses domestiques. Le droit de grève est souvent restreint outre mesure, assorti de listes de services publics où les actions de grève sont restreintes allant au-delà de la définition de l’OIT.

À nouveau cette année, plusieurs milliers de syndicalistes et de travailleurs/euses ont été licenciés pour avoir participé à des actions de grève ou à des protestations; d’autres milliers ont été victimes d’actes de harcèlement ou de discrimination et des centaines ont été arrêtés. La situation des travailleurs/euses domestiques, principalement des femmes et des travailleurs migrants au Moyen-Orient et dans les États du Golfe, ainsi que dans certains pays africains et asiatiques, est également préoccupante. La négation absolue des droits du travail et syndicaux ainsi que d’autres violations ont été monnaie courante dans les zones franches d’exportation, par exemple au Costa Rica, au Salvador, au Guatemala, au Honduras, au Swaziland, au Bangladesh, au Kenya, à l’Île Maurice et au Pakistan.

En outre, la mondialisation actuelle de l’économie, conjuguée à la crise financière et économique mondiale, exerce une énorme pression sur les marchés du travail, les conditions de travail et les droits des travailleurs/euses dans le monde entier. Les employeurs continuent de menacer les travailleurs/euses de délocalisations d’entreprises, de sous-traitance et de restructurations dont l’impact négatif est inévitable en ce qui concerne l’application effective de leurs droits syndicaux.

De nouvelles formes de relations d’emploi touchent également les droits fondamentaux. Le recours à l’emploi indépendant déguisé ainsi qu’à des sous-traitants ou à des agences d’emploi est en hausse dans les pays industrialisés et en développement. Ce Rapport documente des cas en Corée, en Croatie, en Pologne, au Monténégro, en Géorgie, en République dominicaine, au Salvador, au Pérou, en Malaisie, au Vietnam, en Afrique du Sud, au Tchad et au Maroc notamment. Malheureusement, il est à craindre que l’édition de l’année prochaine du Rapport ne nous brosse un tableau plus sombre de la situation.

Ce Rapport, qui couvre 143 pays, a également pour but de constituer un instrument. Il met en exergue les occasions manquées de promouvoir de meilleures relations de travail, d’améliorer les conditions de travail et la productivité et de mettre sur pied ou de renforcer des institutions démocratiques. Il illustre également les bonnes pratiques lorsque des améliorations ont été enregistrées. Par exemple, la nouvelle législation reconnaissant et autorisant la syndicalisation a été adoptée au Burkina Faso, au Kenya, au Mozambique et en Australie.

Vous trouverez dans les annexes le texte complet des Conventions fondamentales n°87 et 98 de l’OIT, ainsi qu’un aperçu général des décisions de l’OIT concernant des questions clefs en matière de droits syndicaux, qui ne sont généralement pas suffisamment connues ni comprises.

Les cadres législatifs et des institutions efficaces devraient assurer une protection adéquate et des garanties de la liberté syndicale et de négociation collective. Malheureusement, dans un nombre trop élevé de régions du monde, notamment en Asie, au Moyen-Orient et dans les États du Golfe, la liberté syndicale n’est pas garantie par les Constitutions ni les législations du travail.

La mise en œuvre effective des Conventions internationales, ou du moins des législations du travail nationales, et le respect des droits syndicaux sont très loin de répondre aux attentes légitimes des travailleurs/euses. À nouveau cette année, la CSI fait état d’assassinats, d’enlèvements, d’arrestations et d’emprisonnements, ainsi que de menaces, de licenciements, d’actes de discrimination et d’intimidation à l’encontre de syndicalistes.

Toutefois, des millions de syndicalistes et de militants des droits des travailleurs dans le monde entier continuent de lutter pour la solidarité des travailleurs/euses, dans certains cas au risque de perdre leur propre vie ou leurs moyens de subsistance. Parmi des exemples bien connus en 2008 figurent des dirigeants syndicaux au Zimbabwe, en Colombie, en Guinée, au Guatemala, aux Philippines, en Irak et en Iran.

Je tiens à remercier nos organisations affiliées, les Fédérations syndicales internationales et toutes les personnes qui ont contribué à rendre possible ce Rapport, et à rendre hommage à tous ceux dont le dévouement au service de la justice, de l’équité et de l’impartialité au travail a porté ses fruits pour tant de travailleurs/euses.

La CSI reste la voix et l’alliée des syndicalistes à l’échelle internationale, en particulier lorsqu’ils ne peuvent compter sur des systèmes judiciaires nationaux équitables pour protéger leurs droits syndicaux fondamentaux.

La mission de la CSI consiste plus que jamais à soutenir les travailleurs/euses dans leur lutte pour la justice et la défense des droits syndicaux dans le monde entier dans la mesure où « Une attaque contre l’un d’entre nous est une attaque contre nous tous! ».

Maroc
Population: 31.600.000 / Capitale: Rabat

Conventions fondamentales de l'OIT ratifiées: 29 - 98 - 100 - 105 - 111 - 138 - 182

Les actions de protestation des travailleurs ont pu se dérouler plus aisément qu’en 2007, les autorités s’étant montrées plus tolérantes. Les réunions tripartites au plus haut niveau se sont multipliées mais les centrales syndicales ont déploré l’absence totale de résultats. Des syndicats ont été harcelés tout au long de l’année. Des travailleurs ont été mutés ou licenciés en raison de leur militantisme syndical.

Multimédia

Entrevues
 Droits syndicaux dans la législation

Liberté syndicale: Les travailleurs sont libres de constituer un syndicat ou d’y adhérer sans autorisation préalable, mais ils doivent suivre des procédures administratives fastidieuses. Les membres de la magistrature n’ont pas le droit de former des syndicats, et les travailleurs domestiques et agricoles ne sont pas couverts par le Code du travail, ce qui les prive du droit de former des syndicats.

Le droit des organisations à élire librement leurs représentants est réduit par l’obligation pour les responsables syndicaux d’être de nationalité marocaine.

Code du travail: Le Code du travail élaboré en 2003 en vue de moderniser les relations du travail et de rendre l’industrie marocaine plus attrayante pour les investisseurs étrangers a pour leitmotiv « la flexibilité ». Il inclut des dispositions visant à mettre la législation en conformité avec les conventions de l’OIT, telles que celles sur la maternité et sur l’âge minimum d’emploi. Les syndicats se plaignent toutefois du fait qu’il rend également plus facile pour les entreprises de recruter du personnel temporaire.

Le Code du travail interdit spécifiquement aux employeurs de licencier des travailleurs qui auraient participé à une action légitime de syndicalisation, et les tribunaux ont le pouvoir de réintégrer des travailleurs licenciés arbitrairement tout comme celui d’obliger les employeurs à payer des indemnités et les arriérés de salaire.

Négociation collective: Le Code du travail reconnaît le droit à la négociation collective, mais celle-ci ne peut être menée que par l’organisation syndicale « la plus représentative », c’est-à-dire incluant au moins 35% du nombre total des délégués des employés élus au niveau d’une entreprise ou d’un établissement. La loi ne stipule pas clairement si certaines catégories de fonctionnaires (enseignants, responsables des prisons, gardiens de phares, employés des eaux et forêts) jouissent des droits de négociation collective.

Droit de grève – lourdes sanctions: La Constitution garantit le droit de grève, avec toutefois certaines restrictions. Les fonctionnaires sont passibles de sanctions s’ils prennent part à des débrayages ou à des actes collectifs d’insubordination.

Restrictions imposées aux sit-in, aux piquets et aux manifestations publiques: À la suite d’un arrêt rendu par un tribunal, les sit-in sont interdits et les employeurs ont le droit de suspendre pendant sept jours tout travailleur qui empêcherait les non-grévistes de se rendre au travail. Une récidive au cours de l’année peut entraîner une suspension de 15 jours.

En vertu du Code du travail, les employeurs ont le droit de poursuivre en justice tout gréviste qui effectue un sit-in, qui porte atteinte à la propriété de l’entreprise ou qui organise activement des piquets de grève. Le gouvernement a le pouvoir de faire cesser des manifestations dans des lieux publics qui se tiennent sans autorisation gouvernementale et il peut empêcher l’occupation des usines.

Droits syndicaux dans la pratique et violations en 2008

Contexte: Le mécontentement social est grand devant la hausse du prix des produits de première nécessité. À Sidni Ifni, un port situé dans le sud du pays, la police a réprimé très durement des jeunes qui bloquaient l’accès des installations portuaires, pour protester contre le chômage et la pauvreté. Plusieurs morts seraient à déplorer. Les syndicats des services publics ont aussi dénoncé la dégradation des conditions de vie et de travail des fonctionnaires. L'incendie d’une usine de matelas à Casablanca qui a coûté la vie à 55 employés a mis une nouvelle fois en lumière les conditions d’hygiène et de sécurité, souvent déplorables dans ces entreprises de taille moyenne. Elles échappent souvent à tout contrôle de l’inspection du travail et les employeurs refusent toute présence syndicale.

Répression moindre, davantage de dialogue, mais encore énormément de chemin à parcourir: Alors que 2007 avait été marqué par un très grand nombre d’incidents et de violences policières lors de manifestations de travailleurs, les syndicats ont généralement pu organiser plus facilement des marches et d’autres actions de protestation.

Dans le secteur en plein développement des call center, les syndicats commencent à s’implanter, parfois à la demande des employeurs qui croient, ainsi, pouvoir s’appuyer sur des délégués acquis à leur cause. Mais ces compagnies se retrouvent vite en butte avec des militants très vindicatifs, compte tenu des piètres conditions de travail (stress, horaires, etc.) qui sévissent aussi dans ce secteur et qui veulent faire aboutir des conventions collectives.

Harcèlement du syndicat des aiguilleurs du ciel à Casablanca: Dès le lendemain de sa création le 8 février, le Syndicat des contrôleurs aériens de l’aéroport de Casablanca affilié à la Confédération démocratique du travail (CDT) a été soumis à toutes sortes de brimades. Le 9 février, l’un de ses membres, Adil Gaout, a été muté de son poste de contrôleur aérien à un poste de bibliothécaire. Après avoir marqué leur solidarité avec la grève nationale de la CDT du 21 mai, cinq autres militants du syndicat ont été mutés dans des aéroports régionaux pour des fonctions qui les empêchent de bénéficier des mêmes avantages salariaux qu’à Casablanca.

Après une réunion générale des adhérents et l’élection d’un bureau exécutif élargi, ses membres ont été privés du droit de prester des heures supplémentaires. Tous les adhérents se sont vu imposer une nouvelle procédure orale de validation de leurs qualifications pour travailler dans les aéroports régionaux. En octobre, la licence de vol de Bakiz Abdelmajid, membre du comité exécutif, n’a pas été renouvelée en raison de « tergiversations » de l’administration aéroportuaire.

Le 17 novembre, à l’issue d’une rencontre entre des représentants des syndicats et de la direction de l’Office national des aéroports (ONDA), celle-ci a accepté de permettre aux travailleurs mutés de retrouver leur poste à Casablanca et de lever les obstacles administratifs liés à l’obtention des licences. Mais les semaines suivantes, le harcèlement antisyndical a repris de plus belle, l’ONDA allant même jusqu’à remettre en question l’existence du syndicat, dans la mesure où plusieurs de ses membres avaient été mutés dans d’autres aéroports. Fin 2008, le syndicat a dénoncé la persistance de ce harcèlement.

Répression syndicale dans le secteur agricole: Fin février, la direction du groupe de production maraîchère Soprofel a muté et licencié plusieurs syndicalistes de la Fédération nationale du secteur agricole (affiliée à l’UMT) en représailles à la grève organisée quelques jours plus tôt dans sept exploitations agricoles employant 800 ouvriers et ouvrières. Ceci faisait suite à des sit-in organisés par les employés face au refus de l’employeur d'entamer un dialogue social. Des représentants du personnel avaient déjà été mutés en 2007.

Selon l’UMT, plus de 70.000 personnes dont près de trois quarts de femmes travaillent dans cette région de cultures du sud du Maroc et 15.000 à peine seraient déclarées. Tolérés dans certaines exploitations, les syndicats ne parviennent toutefois pas à y conclure de conventions collectives. L’exploitation intensive des nappes phréatiques dans une région déjà semi-aride pousse les compagnies à changer régulièrement de zone, abandonnant les travailleurs à leur sort, et à ouvrir de nouvelles exploitations en engageant de nouveaux ouvriers agricoles.

L’UMT est également intervenue tout au long de l’année pour prêter assistance à des organisations de paysans à Aoulouz dans le sud du pays protestant contre la corruption des autorités locales et d’une soi-disant association d’agriculteurs imposée par l’administration depuis la construction d’un barrage ayant asséché leurs terres. L’UMT est parvenue à obtenir la dissolution de cette association. Fin 2008, après plusieurs actions de protestation et encore toutes sortes d’intimidations, les syndicats paysans ont enfin obtenu de pouvoir faire entendre leurs droits.

Peines de prison purgées pour les trois dirigeants syndicaux de Dihanex: Lors de la Conférence internationale du travail, la Fédération internationale des travailleurs du textile, de l’habillement et du cuir (FITTHC) a vivement critiqué l’attitude des autorités marocaines qui, dans le dossier Dihanex, ont condamné des travailleurs en utilisant les dispositions du Code pénal relatives à « la liberté du travail ». Le 15 novembre 2007, des ouvriers et des ouvrières de l’usine Dihanex avaient été tabassés par la police. Ils tentaient d’empêcher l’employeur de cette entreprise en liquidation de déménager illégalement les machines et outils de travail qui devaient faire l’objet d’une vente publique. Trois responsables syndicaux, Larbi Riyach, Houssine Oulad Abou et Mohamed Hanfi, avaient été appréhendés par les policiers, alors qu’ils essayaient de porter plainte. Le 21 novembre, ils ont été condamnés à un an de prison ferme en vertu de l’article 288 du Code pénal. La société Dihanex avait fermé en mars 2007 après des mois de vains efforts du syndicat et du ministère du Travail pour tenter de remédier aux nombreuses atteintes aux droits des travailleurs. Au moment de la fermeture, l’employeur devait jusqu’à deux ans d’arriérés de salaire.

Abus dans les zones franches: Les zones franches commencent à se développer, notamment dans le port de Tanger et à Casablanca. Ce sont souvent de petites unités de production (dans le textile ou l’agroalimentaire) qui ne déclarent pas leurs employés et ne les paient pas au salaire minimum. La sous-traitance commence à devenir monnaie courante, ce qui rend la syndicalisation particulièrement difficile.

Source:

www.ituc-csi.org

Publié dans voixdestravailleurs

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